La substitution d’un prestataire défaillant, une solution à la caducité du contrat de location ?

« Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ». W.Churchill.

L’article ci-après analyse une décision de la Cour d’appel de Paris – Chambre 10 – 15 octobre 2018 n°17/04419.

Selon une jurisprudence désormais établie, « il est de règle que les contrats concomitants qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière ou de crédit-bail sont interdépendants et que la résiliation du contrat principal entraîne la caducité de l’autre » [1].
En effet, plus de différence entre location financière et crédit-bail, la Haute Juridiction pose désormais que la résolution d’un contrat de vente financé par crédit-bail emporte caducité de son accessoire [2]. Il n’est donc pas surprenant que la Cour d’appel de Paris pose cette règle comme préalable dans ses motifs.
Sa décision n’est donc que l’application immuable de la jurisprudence de principe applicable dans ce domaine.

Que dire de plus ?

Une phrase des motifs contestant un des arguments avancés par un des loueurs en 1ère instance [3] doit cependant attirer l’attention des loueurs. Ainsi, si l’une des sociétés loueuses avait soutenu devant le Tribunal de commerce « qu’elle a informé Z A qu’elle pouvait passer par un autre prestataire », la Cour d’appel constate qu’« il n’est par ailleurs justifié aucune proposition de substitution de prestataire de maintenance au profit de la société Z A, au lieu et place du prestataire défaillant. »

Certes, dans ce cas d’espèce, la maintenance était intégrée au contrat de location financière mais pourrait-on imaginer que, si le loueur avait formellement proposé au locataire de faire appel à un prestataire de remplacement, la décision aurait été autre. Là est ma question.
Si l’on revient à la source, la Cour de cassation dans ses deux arrêts de principe du 17 mai 2013 est venue « préciser les éléments caractérisant l’interdépendance contractuelle, en qualifiant d’interdépendants, qualification soumise à son contrôle, les contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière » [4].
Cette position semble retenir une approche objective : les contrats concomitants ou successifs incluant une location financière sont interdépendants et la résiliation à bon droit de l’un des contrats entraine l’anéantissement de l’ensemble des contrats interdépendants.
Néanmoins, l’origine de cette jurisprudence vise à ne pas laisser à la charge du client le paiement de loyers sur des biens qui sont défaillants par la disparition ou l’inexécution du prestataire.

Penchons-nous maintenant sur l’article 1186 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 : « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

Le 2ème alinéa de cet article évoque l’exécution de contrats nécessaire à la réalisation d’une même opération.
Il y a donc lieu de penser que si, plutôt que s’arc-bouter sur l’indépendance des conventions comme on le voit encore dans les arguments portés par les conseils des sociétés de location et… dans les contrats de location eux-mêmes, les loueurs intégraient à leur dispositif contractuel la possibilité de substituer au prestataire défaillant un prestataire de remplacement aux conditions d’origine, a fortiori lorsqu’ils perçoivent pour le compte du prestataire défaillant le coût des prestations qu’ils lui reversent ensuite, les locataires auraient quelques difficultés à soutenir que l’anéantissement du contrat de prestation (par disparition du prestataire ou inexécution de sa part) entraîne « automatiquement » la caducité du contrat de location.

Certes, la prise en compte du risque opérationnel du loueur lié à une intégration des prestations externes n’est pas à négliger mais le risque opérationnel existe bien, que le loueur accepte que les prestations du prestataire soient interdépendantes des siennes ou qu’il tente, improbablement, de les rendre indépendantes.
Néanmoins, il ne suffit pas d’affirmer simplement cette faculté de substitution du prestataire initial par un prestataire de remplacement au sein de l’ensemble du dispositif contractuel (contrat avec le partenaire/prestataire et contrat de location), il convient également de prévoir les modalités opérationnelles et juridiques de cette substitution car la complexité technique des prestations assurées ainsi que le régime des droits de propriété intellectuelle détenus par le prestataire d’origine contraignent à ce qu’une cellule interne ou externe au loueur anticipe cette substitution par la mise en place de remises à « bon droit » et de tests réguliers des éléments indispensables à cette substitution. Dans le cas contraire, la substitution est vouée à l’échec.

La continuité du service assurée au locataire est, de mon point de vue, le remède à la caducité du contrat de location, ce quelle que soit la cause de la résiliation du contrat de prestation initial (liquidation judiciaire, inexécution du contrat par le prestataire …). Encore faut-il s’être donné les moyens opérationnels et juridiques de l’assurer.

Par Christelle FORT
Avocate au Barreau de Poitiers
Paru le 22/02/2019 – LE VILLAGE DE LA JUSTICE

 

[1] Cour d’appel de Paris – Chambre 10 – 15 octobre 2018 n°17/04419.
[2] Cour de cassation, Chambre mixte, 13 avril 2018, 16-21.345.
[3] Tribunal de commerce de Paris – 9ème chambre – 20/02/2017.
[4] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambres_mixtes_2740/arrets_n_26504.html

Our offers




If you want to know more about this topic, talk to our experts!